Carriers et archéologues : L'histoire des carrières révélée par l’archéologie

Les études sur les carrières antiques ont commencé vers la fin du XIXe siècle : des hellénistes et latinistes s’y sont intéressés surtout par le biais des inscriptions sur les blocs bruts et sur les fronts de taille. Ils ont parfois étudié des sculptures, autels votifs et des sanctuaires de carriers. Mais, mis à part quelques sites dans les Pyrénées et dans l’est de la Gaule, la France n’offre guère de possibilités en matière d’épigraphie. Les exploitations médiévales n’ont quant à elles pas vraiment mobilisé les archéologues avant le dernier tiers du XXe siècle.

La naissance de l’intérêt des archéologues pour les activités d’extraction a correspondu au développement du chemin de fer, lequel facilitait la reprise des activités à grande échelle des anciennes carrières. Pour atteindre les fronts anciens, les exploitants d’alors ont dû dégager manuellement les déblais de leurs lointains prédécesseurs, mettant parfois au jour des monnaies ou des objets. Curieux de l’histoire de leur métier, les carriers les remettaient aux érudits locaux. À noter toutefois que ces « savants » ne montraient pas un grand intérêt pour les témoins techniques tels que les outils et leurs traces sur la roche. Cet aspect de la recherche n’est apparu en France que durant les dernières décennies du XXe siècle.

L’étude archéologique concernant les modes d’exploitation des carrières s’est dès lors organisée selon plusieurs axes : l’observation des remblais, fronts de taille, sols de carrière, la détermination des roches recherchées et de leur utilisation, la connaissance des savoir-faire ainsi que des outils, soit retrouvés soit identifiés par leurs traces. On sait ainsi que, pour extraire les roches moyennement dures, les Gallo-Romains utilisaient l’escoude (du latin escudere, « extraire »). Ce pic particulier présentait deux doubles pointes transversales par rapport au manche. Ce dispositif permettait de dégager des « tranches » bien verticales. Après quoi les blocs étaient séparés du sol de la carrière à l’aide de coins que l’on frappait à la masse.

La principale nouveauté technologique que les archéologues ont constatée lorsqu’ils se sont penchés, dans les années 1980, sur les carrières du Moyen Âge est le considérable développement de l’extraction souterraine, s’ajoutant aux traditionnelles exploitations à ciel ouvert. À Paris, Tours, Laon, Caen, Poitiers, ces grandes carrières souterraines ont fini par être recouvertes, et ainsi protégées, par l’extension des villes. Leur découverte a été liée à la nécessité de consolider le sous-sol. Même partiellement comblées, ces carrières souterraines littéralement fossilisées sous la ville avaient conservé les traces d’extraction sur les piliers tournés ainsi que les empreintes de roulage des charrois.

Mais voilà, archéologues et carriers exercent des métiers en évolution rapide. Amorcée entre les deux guerres mondiales, la mécanisation de l’extraction s'est rapidement généralisée. À partir de 1950, les rares carriers qui exerçaient encore leur métier selon la tradition antique se modernisent. Du côté des archéologues, les fouilles programmées des années 1980 à 2000 dans d’anciennes carrières libres de contraintes économiques ont cédé le pas aux opérations d’urgence (avant destruction des vestiges).

L’ensemble des disciplines regroupées sous le nom d’archéométrie, pratiquées pour partie en laboratoire, apporte désormais une information plus « pointue » sur les anciennes carrières, particulièrement sur les datations, la durée d’utilisation des sites… Mais, depuis peu, l’approche anthropologique tend à rééquilibrer la démarche archéologique en général, et plus particulièrement dans le travail de la pierre. Comme en témoigne, entre autres, la fouille de la carrière de la Corderie, à Marseille, la tendance maintenant, sans priver la recherche de l’apport des sciences connexes, est à réintégrer l’homme de métier dans son environnement naturel et socioprofessionnel et à étudier les interrelations carrière/chantier de construction.