Carriers et archéologues : L’installation d’une relation privilégiée

Dans les années 1950 et 1960, les producteurs de granulats ouvrent leurs carrières avec bienveillance à des archéologues et géologues souvent amateurs, qui viennent le week-end arpenter en voisins les surfaces découvertes de leurs exploitations. Ces maîtres d’écoles, professeurs, hommes d’église et même entrepreneurs locaux, petit à petit avec le soutien des services de l’État, parviennent à faire différer l’exploitation de secteurs restreints de carrières afin de fouiller quelques vestiges juste avant les bulldozers. Par l’exploration extensive des terroirs alluviaux, ils ont été les premiers à mettre en œuvre une archéologie des peuplements humains à l’échelle d’une vallée. L’intérêt et la compréhension des carriers a permis l’éclosion de l’archéologie moderne telle que nous la pratiquons aujourd’hui. C’est dans ces circonstances que l’archéologie préventive est née, grâce à des bénévoles passionnés, pleinement investis dans l’étude des territoires qu’ils fréquentaient ou habitaient.

Grâce à une bonne coordination entre les archéologues et les carriers, fruit d’une confiance mutuelle, on a pu petit à petit anticiper les plans d’exploitation et ainsi réaliser des fouilles archéologiques durant plusieurs années au sein d’une même carrière. Ainsi est née l’archéologie de sauvetage, qui a pris une dimension institutionnelle avec la création de l’Afan (Association pour les fouilles archéologiques nationales) en 1973. Des découvertes parfois très importantes sur le plan scientifique ont été opérées dans ce cadre, comme celle du premier site néolithique danubien à Charmoy (Yonne), ou les structures funéraires très particulières (grands enclos allongés) mises au jour sur le site néolithique de Passy (Yonne), que l’on retrouve maintenant dans divers sites du Bassin parisien et d’Europe occidentale. Et tant d’autres…

C’est durant les années 1990 que l’archéologie de sauvetage professionnelle a véritablement pris son envol. Cette période voit l’instauration de conventions de partenariats entre carriers, État et Afan. Renouvelées tous les ans, celles-ci fonctionnaient comme un engagement mutuel entre archéologues et exploitants de granulats, sur un programme d’interventions archéologiques annuel en fonction des plannings d’exploitation annoncés. Chacun des partenaires trouvait un intérêt dans ce fonctionnement, qui permettait anticipation des travaux archéologiques et mutualisation des financements. Les principaux programmes annuels ayant fonctionnés de cette manière étaient localisés dans les vallées de l’Aisne, de l’Oise, de la Petite-Seine, de l’Yonne… Ils ont permis des avancées scientifiques majeures, notamment en terme de géographie humaine appliquée à l’archéologie, qui n’auraient pas été possibles dans le cadre d’interventions archéologiques ponctuelles sur d’autres types d’aménagement.

Les années 2000, avec l’application de la loi 2001 sur l’archéologie préventive à tous les aménageurs, a signé la fin de ces partenariats privilégiés avec les carriers. Certains, archéologues comme carriers, en gardent sans doute un peu de nostalgie. L’archéologie en carrière fait maintenant l’objet du même traitement réglementaire que n’importe quel type d’aménagement sur le territoire national.